Sektion des Monats

Discours de Jean-Frédéric Jauslin à l'occasion des 200 ans de la Société suisse des Beaux-arts du 9 septembre 2006

(La parole dite fait foi)

Un Van Gogh, un Hodler, un Klee ou un Pollock ont marqué l'histoire. Les artistes modifient le regard que nous portons sur la réalité, ils changent le monde. Mais vous le savez bien Mesdames et Messieurs, sans la compréhension d'anonymes éclairés, aucun d'eux n'auraient pu se faire un nom. Les artistes dont nous admirons les oeuvres aujourd'hui ont tous rencontré, à des moments décisifs, des interlocuteurs courageux, prêts à les accompagner hors des sentiers battus.

 

Revenons sur l'histoire de l'encouragement des arts en Suisse. La Suisse peut être fière d'avoir vu naître le premier musée ouvert au public d'Europe, en 1681. La ville de Bâle fait alors l'acquisition du cabinet de la famille Amerbach, qui réunit des oeuvres de Hans Holbein, Niklaus Manuel Deutsch ou Urs Graf. Une collection présentant une inestimable synthèse de la vie artistique de l'époque devient ainsi visible de tous.

 

Genève et Zurich deviennent dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle des centres importants de la vie intellectuelle de Suisse. En 1776 est fondée la Société des arts, à Genève, qui est alors alliée à certains cantons de la Confédération. La Zürcher Künstlergesellschaft voit le jour onze ans plus tard. En 1799, sur mandat de la jeune République helvétique, la Zürcher Künstlergesellschaft et la toute jeune société patriotique d'utilité publique Vaterländisch-gemeinnützuge Gesellschaft montent une exposition de talents suisses jusqu'alors « mis à la solde de l'étranger », selon les propos de Philippe Albert Stapfer, Ministre des sciences et des arts de l'époque. Ce dernier a en effet à coeur que les artistes puissent se consacrer à la patrie, et les sociétés privées lui permettront d'atteindre ce but.

 

Mesdames et Messieurs, ce que l'histoire nous révèle a en Suisse valeur de fait : dans notre pays, la culture est souvent d'abord l'affaire des privés. Les exemples que j'ai cités nous le suggèrent. La Société suisse des Beaux-arts, elle, vient nous démontrer tout ce que le monde de l'art peut retirer d'une telle dynamique.

 

La Société suisse des artistes et des amis des beaux-arts [Gesellschaft Schweizerischer Kunstler und Kunstfreunde] est fondée à Zofingue, en 1806. Près d'un demi-siècle avant que la Suisse n'adopte sa structure actuelle, elle va servir de véritable modèle, de laboratoire peut-on dire, aux orientations de la Confédération dans le domaine culturel.

 

En 1839, la société lance une véritable politique culturelle, fondée sur trois objectifs :  promouvoir la création de monuments nationaux ; acheter des oeuvres d'art, présenter des oeuvres d'artistes suisses contemporains dans une exposition biennale et itinérante. Ce seront les fameuses Turnus, qui connaissent un succès rapide. Elles se font d'abord en 3, puis en 7 étapes, parcourant la Suisse romande dès 1956. A partir de 1960, elles sont subventionnées par la Confédération. Les achats réalisés par la société le seront également, dès 1865.

 

Il faut s'en rendre compte, Mesdames, et Messieurs : avant, bien avant qu'il ne soit question d'une institution fédérale de soutien à la culture, la Société des beaux-arts obtient de la Confédération qu'elle soutienne les arts. Par là, elle lance également les premiers débats sur leur promotion. Les discussions débouchent, en 1887, à ce que la Confédération se donne un rôle nouveau dans ce domaine. Dans un arrêté fédéral sur la promotion de l'art, la Confédération instaure une politique articulée autour des trois axes explorés par la SSBA [SKV], à savoir : l'achat d'oeuvres d'art suisses contemporaines ; l'organisation régulière d'expositions nationales des beaux-arts ; l'octroi de subventions aux monuments publics d'intérêts national. Elle institue une « commission suisse des beaux-arts », soumise, en dernier ressort, au Conseil fédéral. Ainsi débute véritablement l'engagement de la Confédération dans le domaine culturel.

 

Aux alentours de 1900, la SSBA [SKV] démontre à nouveau sa capacité à innover. Les pouvoirs publics s'étant désormais préoccupé du soutien direct aux artistes, la société suisse des Beaux-arts se penche sur les conditions cadres à leur apporter. C'est ainsi qu'elle entame, à l'occasion de son centenaire, une réflexion sur les développements à apporter au réseau de solidarité entre artistes et amateurs d'art. Elle lance, en 1907, un projet précurseur de Fonds d'entraide et de Caisse-maladie pour artistes suisses.

 

La SSBA est de nouveau en avance sur son temps, en se penchant sur des problématiques fondamentales pour les artistes. De fait, la sécurité sociale des artistes est une des questions sur laquelle nous avons beaucoup sué dans l'élaboration de la Loi sur l'encouragement de la culture, que vous connaissez.

 

Au cours du XXème siècle, la SSBA [SKV] continue à rechercher les espaces dans lesquels son activité peut être bénéfique à la culture. En 1968, en lançant le Kunst-Bulletin, elle dote non seulement les professionnels et les amateurs d'art d'un outil devenu indispensable aujourd'hui, elle crée également une publication accessible aux profanes et favorise le dialogue entre les régions linguistiques.

 

Quelle histoire que celle de la Société suisse des beaux arts, Mesdames et Messieurs !

Fondée en 1806, d'abord sous le nom de Société suisse des artistes et des amis des beaux-arts [Gesellschaft Schweizerischer Kunstler und Kunstfreunde], la Société suisse des beaux-arts [Schweizerischer Kunstverein] avait 42 ans lors de la création de l'Etat fédéral, 81 ans lorsque fut mis en place l'Arrêté « concernant l'avancement et l'encouragement des arts en Suisse ». A quelques années près, et son bicentenaire était célébré sans que les activités culturelles de la Confédération n'aient reçu de base constitutionnelle. Que faut-il en conclure, Mesdames et Messieurs ?

 

La Société suisse des beaux arts a initié des mouvements, promu des idées, que les pouvoirs publics ont pu, avec une infinie gratitude, employer, développer, amplifier, pour leurs politiques de soutien à la création. Récupération ? Non, il ne s'agit pas pour l'Etat de s'approprier les initiatives de la SSBA. Bien plus, il s'agit de la perennité d'actions judicieuses, en les fondant dans une politique officielle de soutien. 

 

De tout temps, la passion et la générosité des amateurs a constitué un lien essentiel entre les créateurs et la société dans laquelle ils évoluaient. Cette dynamique prend un sens tout particulier en Suisse aujourd'hui. Les structures institutionnelles qui se sont progressivement développées en Suisse n'ont pas pour vocation de faire disparaître l'engagement individuel. Leur rôle et de contribuer, aux côtés de différents partenaires, à une vie culturelle dense et diverse.

 

En deux siècles d'existence, la SSBA [SKV] a connu de grands succès comme des périodes de crise. Reflet de l'évolution du rapport reliant l'art et la société, son histoire est un outil précieux pour penser la politique culturelle contemporaine. Aussi, c'est à la fois avec gratitude pour l'immense travail fourni et l'espoir de voir à l'avenir d'autres initiatives novatrices marquer le paysage culturel que je formule mes voeux pour cet anniversaire.